Publié le 15/02/2016

Victor Férès : Couturier-plasticien… d'une porte à l'autre...

Victor Férès : Couturier-plasticien… d'une porte à l'autre...
Propos recueillis par Rémy Dreano à l'Atelier workshop Victor Férès. 100, rue de Charenton 75012 Paris.
 
 
Le parcours du couturier-styliste Victor Férès n'est pas banal, il est même hors du commun…si riche qu'il est impossible de le résumer en quelques lignes. Sa vie est un roman, une succession de portes qui mènent à d'autres, comme dans le tableau du peintre hollandais Emmanuel de Witte.
 

Bien que né en 1968 à Tulle, sur le sol français donc, Victor aime à se présenter comme un immigré portugais. C'est à l'âge de 17 ans qu'il pousse la première porte, celle de l'école de stylisme-modélisme Edouard Gand d'Amiens.

"j'ai fait un BT-BTS de stylisme-modélisme, un apprentissage nécessaire qui me destinait logiquement à une carrière dans l'industrie textile. Mais j'avais autre chose en tête…" explique Victor.

A la fin de ses études, il se présente à un concours de jeunes créateurs, organisé par l'École Supérieure de Commerce d'Amiens. Thème de sa création : "vie, mort et affrontement" avec, pour élément essentiel de son défilé, le fameux aria de Klaus Nomi, devant un jury médusé. Pour Victor, le choix de "The cold song", étrange et poignant, marquait le début de la pandémie sida, grande vague d'avant la prévention qui emporta tant d'amis autour de lui.

 

"J'ai remporté le 1er prix et obtenu une bourse. Grâce aux aides de fondations et de l'Etat, j'ai pu enchaîner avec un défilé au Pavillon Dauphine et c'est ainsi que je suis entré dans le travail..."  

Comme beaucoup de créateurs-stylistes, son rêve est d'entrer dans une maison de haute-couture. Quelques articles élogieux faisant écho à ce 1er prix lui ouvrent les portes du milieu très fermé de la haute-couture. 

"J'ai fait mes débuts chez Balmain au poste d'assistant de Bernard Sanz qui était à l'époque le directeur artistique du département mode masculine..." 

Une période particulièrement enrichissante pour le jeune styliste, mais les restructurations existent aussi dans la mode. De nouvelles portes vont bientôt s'ouvrir, la maison Oscar de la Renta pour commencer, puis celle d'Ocimar Versolato, un créateur brésilien. 

"Ocimar Versolato était le spécialiste de la robe de mousseline de soie en biais. Avec lui, j'ai appris des techniques qui continuent de m'inspirer. J'ai aussi compris que ce qui me passionne avant tout, c'est le corps humain et c'est pour ça que je l'habille" confie Victor.

Plus tard, notre couturier se trouve à nouveau face à deux portes et un miroir. La première ouvre sur une carrière d'assistant couturier dans une grande maison, la deuxième l'invite à suivre son propre chemin de styliste-créateur. Mais, c'est finalement la rencontre avec Michel Cressole, journaliste-chroniqueur de mode à Libération, qui le fait passer de l'autre côté du miroir..

"C'est lui qui m'a poussé à écrire sur la mode. J'ai retrouvé les défilés, dans le rôle de celui qui porte un regard sur le travail du créateur, de l'autre côté du miroir pour le coup"

1995 est une année terrible pour Victor qui perd son ami journaliste, emporté lui aussi par la maladie.

"j'avais 25 ans et j'étais en plein désarroi. Que fais-je ? journaliste ou couturier ? Peu après, je fais la rencontre d'Azzedine Alaïa qui m'a reçu chez lui pendant quelques mois. c'est lui qui m'a redonné l'envie de repartir dans la création" confie Victor.

"Un jour, j'apprends que Sarkis* (un artiste plasticien renommé) a besoin d'un couturier pour l'un de ses projets…un travail sur le feutre... 

L'expérience est une révélation et il décide alors d'arrêter la haute-couture pour la création contemporaine... "Habiller la femme pour elle-même et dans le seul but de la mettre en valeur n'est pas une fin en soi. S'habiller devient artistique quand le vêtement devient un langage pour partager une identité ou rentrer en contact avec le monde..." 

Il va entreprendre un inventaire de la mode enfantine des années 1900 à 2000. Un travail de fourmi, un voyage dans le temps, qui accouchera d'un beau livre.

Et Victor d'aller ensuite de projets en projets...

"J'avais quand même la chance incroyable d'avoir mon atelier dans un musée" s'émerveille-t-il encore.

Aujourd'hui, notre homme est responsable de l’atelier Couture de La Fabrique au 100, rue de Charenton à Paris, un espace de co-working pour artistes et créateurs. A la fois, couturier et plasticien, Victor Férès questionne le corps, son identité, son intimité. Une recherche permanente de techniques, de formes et de matières avec lesquelles il compose, comme ce vêtement incroyable sur lequel s'impriment en braille des fragments de poèmes sur des plaques en céramique. 

Touché par les récents attentats de Paris, notre couturier-plasticien veut maintenant répondre à l'urgence de transmettre aux jeunes les valeurs de la république. Des valeurs qui passent aussi selon lui par la découverte ou l'apprentissage d'un métier, le sien

 

"Je suis le premier couturier à faire ça. C'est à mon tour de transmettre ce que l'on m'a appris" 

 

Périodiquement, il reçoit dans son atelier d'artiste en résidence des enfants, des élèves des lycées de mode, des costumiers en formation. Pour les inviter à s'exprimer au travers des matières avec le vêtement comme langage pour rentrer en contact avec le monde, comme il dit.

S'il lui arrive de piger à l'Atelier Chardon Savard, une école de stylisme réputée, il n'hésite pas à répondre présent pour des causes plus nobles encore, comme la réserve citoyenne de l'Éducation nationale... 

"J'interviens comme parrain dans deux établissements techniques d'Aubervilliers, en classe couture et arts appliqués. Je tiens à dire que j'y ai rencontré des enseignants très investis comme Laurence Etienne qui fait un travail formidable sur l'art avec ses élèves. Je travaille aussi comme costumier pour le cinéma, le théâtre, la publicité, la scénographie, les clips vidéos, c'est d'ailleurs là où je gagne le plus ma vie" confie-t-il.

 

Récemment, Victor Férès a réalisé les costumes du premier opéra écrit en langue arabe, joué par un orchestre entièrement composé de musiciens aveugles. Une première qui a contribué à faire connaître son travail jusqu'en Egypte. L'opéra a été joué à Paris en septembre dernier, avant Dubaï et d'autres destinations du moyen-orient. 

 

Et c'est loin d'être la dernière porte qu'il lui reste à poussser... 

 

"Je passe prochainement devant une commission du conseil régional pour un projet autour de la mode et des cultures urbaines..."

"Ça y est, je suis parti !" lâche-t-il, enthousiaste, comme si, pour lui, l'aventure ne faisait que commencer... 

Pour finir, Victor accepte volontiers de se prêter à l'exercice, pas si facile, de donner conseil à ceux qui envisagent le métier… "tout d'abord, être sûr du choix que l'on a fait. Après, il faut donner 200% de son temps pour accéder au niveau que l'on veut atteindre. Ensuite, il faut faire partager ses créations aux autres, car ce sont eux qui vous donnent la réponse. Et si ça marche, alors une première commande en amènera une autre…"